Des raisons historiques au mal-être français

Une génération, c’est le temps passé pour donner le relais à la suivante, soit autour de vingt-cinq/trente ans. Trois générations se côtoient ainsi, et chaque génération essaye d’éviter les erreurs des précédentes, mais a bien peu de chances d’être aidée à éviter les erreurs commises au-delà de cent ans en arrière, soit celles de la première génération qu’elle n’a pas connue.

Chaque nouvelle génération se doit donc d’affronter par elle-même des difficultés non résolues mais à l’appui de l’histoire et de sa propre connaissance. Et l’Ecole n’est pas étrangère à ces enjeux.

Une Ecole qui formate plus qu’elle ne forme

A l’Ecole, les jeunes Français n’apprennent pas à travailler ensemble et n’acquièrent que peu d’expérience pour développer des projets en équipe. Ils n’apprennent donc pas à collaborer ni à s’associer tandis que ce sera une difficulté dans leur vie professionnelle au moins aussi importante que celle de leur travail proprement dit.

Plus encore, l’école ne fait pas seulement fi de ce défi de développer à plusieurs mais tout autant d’encourager à créer par soi-même.  Nos enfants demeurent derrière des tables toute la journée et pendant des années, sans préserver et développer intuition et imagination, gaspillant alors un formidable potentiel de créativité.

L’ignorance des enjeux de la raison

L’Ecole ne dispense plus de cours ni de logique ni de morale et encore moins amène à s’interroger sur leur interaction. Seule s’impose la raison spéculative – l’analyse – qui consiste à raisonner sur les données et concepts issus de l’expérience. L’intuition n’est donc pas considérée à sa juste place quant aux enjeux de la raison. Tout est fait comme si la logique analytique était la forme canonique de la pensée à la française.

Et nous nous privons que de trop de cette intuition comme moyen formidable pour développer des stratégies. Cela a des conséquences y compris sur l’industrie tandis qu’ « une forte corrélation (a été montrée) entre réussite et intuition des dirigeants« .

La culture française, c’est d’abord de se trouver une situation, puis de faire son bon petit soldat dans l’entreprise comme au temps de la révolution industrielle où s’imposait la nécessité de faire fonctionner des usines. Travailler mais sans broncher ni même surtout proposer des idées comme privilège exclusif de la hiérarchie.

Un pays déjà mis à terre par ses politiques

Avant d’être un soldat de l’économie, il y eut aussi, et on touche aux raisons historiques, de vrais soldats pendant les deux guerres mondiales et l’on pourrait bien s’y intéresser de plus près pour y trouver les origines de cette soumission.

Tout le monde a entendu parler de l’héroïsme des poilus de 14-18, cette guerre que la France a gagné. Les Français s’y sont battus avec un grand courage.

A la seconde guerre mondiale, il en fut tout autrement, et les nazis nous ont envahis comme un couteau dans du beurre. Pourquoi ?

Pourquoi s’être battus avec tant de courage en 14 et avoir connu cette gigantesque déroute en 39 (*) ? Parce que personne n’a réussi à convaincre l’Etat-major que sa stratégie était dépassée ? Et pourquoi cette incroyable panique des Français à abandonner sans se battre et fuir en exode ?

En 14-18, du haut de leur siège à Paris, les politiques décidaient du sort des hommes envoyés à l’abattoir par centaines de milliers. Qui peut oublier qu’un bataillon tout entier fut exécuté pour donner l’exemple à ceux qui voudraient refuser les ordres.

Pourquoi de ne pas soumettre cette question aux historiens: a-t-on pris la mesure du traumatisme de cette grande boucherie que fut 14-18 et qui emporta 43 personnes sur 1000 en moyenne sur la France et blessa plus de 10% de la population ? Est-ce que la défaite de 39 n’est pas aussi liée à cet énorme sacrifice dont notre pays ne serait pas remis ni en 39 et peut-être même pas encore aujourd’hui ?

Quand un pays n’a plus d’hommes au sein des familles, pendant autant d’années, croit-on que les mentalités n’en sont pas affectées sur le long terme en ayant à ce point fragiliser les familles ?

Comment ne pas évaluer encore les conséquences sur cet état d’esprit d’un grand peuple à travers son rôle historique alors qu’il est devenu si peu conquérant de l’avenir ? Un pays qu’aujourd’hui la plupart des jeunes souhaitent quitter (91% selon le Huffington Post). Car si les jeunes veulent partir, c’est que notre pays ne leur permet pas de faire ce qu’ils souhaitent. Là encore, la justice a aussi sa part tandis qu’elle est là pour assurer le respect des libertés et l’égalité.

La lâcheté des politiques (qui n’ont rien à envier à celle de la Justice)

La lâcheté des politiques est écrite dans les lois qu’ils se sont fabriquées pour eux-mêmes en s’accordant de généreux émoluments et retraites.

En est à l’origine l’ignorance assumée et coupable de ce principe constitutionnel qui stipule qu’une fonction politique se doit d’être temporaire. La respecter forcerait nos politiques à vivre l’expérience du monde réel où il faut travailler pour vivre et pas seulement polémiquer sur les rares décisions qui verront le jour. En se confrontant à l’expérience, leur intuition ne pourrait qu’y gagner pour commencer à innover.

La lâcheté des politiques, c’est aussi de monopoliser le débat politique pour des enjeux sans aucune commune proportion avec les difficultés des Français. Les exemples du voile ou de la loi sur la déchéance en sont de calamiteux exemples.

A calculer sans vision, soit avec une raison purement analytique dépourvue d’intuition, cela ne mène à rien d’autre qu’à tourner en rond sur des mesures désuètes telles que l’élévation ou la diminution du taux de TVA, la baisse de l’impôt sur le revenu, la suppression puis le rétablissement de l’impôt sur la fortune. Pendant combien de temps vont-ils encore nous proposer les mêmes solutions opposées et éculées ?

C’est là encore la question de l’absence de stratégie de ceux qui pensent que l’avenir se construit en faisant des calculs à deux sous. Ils confondent le prix que cela coûte aux Français avec la profondeur intellectuelle auxquels ils aiment prétendre.

Quand ces politiques commenceront-ils à accepter qu’ils feraient mieux d’être un peu dans la vie réelle pour comprendre les possibilités de changement (l’opérer, c’est encore autre chose) ? Et être sur le terrain, cela veut dire travailler sur des projets. Cela demande de l’humilité, cet ingrédient du courage pour accepter le dépassement de soi et mettre en oeuvre des idées nouvelles y compris au risque de l’échec, et bien au-delà de ces misérables enjeux d’ajustements budgétaires complètement dépassés en égard à une nouvelle modernité à construire.

Tant que les vrais problèmes ne seront pas résolus par l’introduction de solutions innovantes, il est à craindre que l’histoire ne se répète avec des conséquences plus graves encore, et selon le principe des cercles vicieux. Mais l’histoire n’est-elle pas un éternel recommencement ? A moins que cela cela ne devienne une éternelle suite de transitions …


(*) Pendant la seconde guerre mondiale, il y eut une grande exception à cette absence de résistance. Cette exception, ce fut le Vercors, haut-lieu de la Résistance française. Et les exceptions ont ceci de particulièrement intéressantes qu’elles permettent de mieux comprendre la règle générale, et même de la confirmer.

Et c’est une question troublante soulevée avec acuité et qui reste à l’esprit comme une énigme. Pourquoi le Vercors a-t-il résisté autant en 39 ? La faible densité de population sur ce vaste territoire ? La capacité à se camoufler dans ce territoire de montagne si exceptionnel, un territoire de forêts et de roches calcaire aux multiples grottes, … ?

N’étant pas historien, voici l’hypothèse suivante: selon un (seul) témoignage que j’ai recueilli, la population du Vercors aurait été très peu sollicitée en 14-18 et aurait donc évité le choc de cette mise à l’abattoir et de la disparition des pères de famille. Ce qui irait dans ce sens de cette responsabilité sur la guerre de 14-18 dont notre pays ne ce serait pas encore complètement rétabli du profond traumatisme ?

6 réflexions sur “Des raisons historiques au mal-être français

  1. Cordialement bonsoir, depuis plus de cinquante ans, tous les élèves qui n’ont pas eu de diplômes, mais ont réussi leur existence professionnelle, leur désire de vie, de création personnelle, savent : « l’école en France n’est pas adaptée pour la formation de chaque caractère. Chaque personnalité n’est pas prise en compte, c’est trop fatiguant ! Il faut suivre le mouvement, rentrer dans le moule, quelle que soit votre niveau d’intelligence, sinon vous êtes mis à l’écart, considéré comme un mauvais élève, un perturbateur, un délinquant… La personnalité propre de l’enfant, de l’adolescent n’est pas prise en compte. Les élèves tout au long de leur scolarité sont soumis à une confrontation, confrontés au fait qu’ils doivent être meilleur que leur voisin pour obtenir des bonnes notes et tous les parents sont les complices… Les écoliers sous la conduite des professeurs des écoles ne travaillent pas en groupe ou rarement, ils ne peuvent pas partager leurs connaissances avec les autres par des cours qui les mettraient en communion, en observation, compréhension, en complémentarité avec les autres. Ce serait déjà là l’apprentissage du regard vers l’autre, du respect de l’autre, même si les aptitudes sont différentes…
    Il faudrait trouver dans les rangs des prochains jeunes responsables politiques, (pas politicien,) le personnage capable d’encourager ces types de réformes.
    L’Université non plus, n’est pas fait pour tous les adolescents qui ont obtenus le baccalauréat. Mais déjà les présidents d’Université, ont pris conscience de se problème et se battent auprès des pouvoirs publics pour obtenir plus d’autonomie, de manière à gérer à leur manière les entrées de cycles…
    Ayons le courage de voter pour le renouveau et non pour le conservatisme. Arrêtons d’avoir peur ! De toutes les manières ce qui doit arriver dans le futur pour notre évolution, arrivera tôt ou tard, que nous soyons d’accord ou pas ! Salutations.

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    1. laurentwz

      Bonjour Tony, c’est essentiel de transmettre du savoir ainsi que son questionnement aux plus jeunes générations.
      Depuis quelques mois, je suis occupé à construire mon Club Informatique. Ce sera bien sûr un lieu pour apprendre, partager des connaissances, et aussi expérimenter, car des expériences scientifiques sur les énergies naturelles y seront possibles. J’en reparlerai sur ce blog.
      C’est crucial de voir que plus les changements portent sur des lois simples, plus l’impact est important. Je trouve ainsi effarant que l’on cherche le changement dans des solutions compliquées. Viser le cas général plus que le cas particulier (et à traiter tout aussi bien) lorsque l’on fait un choix serait déjà juste un changement radical dans notre manière de penser.
      A bientôt,
      Laurent

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  2. Bonsoir Monsieur Lautentz, vous chères lectrices et lecteurs, permettez-moi de vous parler de mon coup de cœur pour, ma dernière lecture. C’est un ouvrage qui correspondra à l’esprit de ce blog. Nous devrions tous lire l’ouvrage de Eloi Laurent : » Nos mythologies économiques. » Achetez ce livre qui répond à certaines explications et dit la vérité… (Une centaine de pages très instructives pour 12 euros.) L’auteur, pour ceux qui ne le connaissent pas, est économiste, enseigne à Science po et à l’université de Stanford.
    (Dans le dictionnaire Mythologie : « ensemble des mythes et des légendes propres à un peuple, à une civilisation, à une région.)

    Nous pouvons apprécier culturellement la Mythologie Grec, Romaine, Chinoise, etc., mais nous devrions tous au vingt et unième siècle, refuser de croire aux mythes que s’acharnent à nous faire prendre pour des réalités modernes, nos politiciens,fatigués et hors du contexte sociale de leur propre pays… Ne nous plaignons plus, si nous continuons d’accepter d’être manipulés cérébralement, humainement sur tous les points. Nous sommes et resterons esclaves pour longtemps, contrairement aux apparences, si nous ne nous mettons pas tout de suite d’accord, pour envisager un véritable changement. Accepter d’aller enfin, vers un mode de vie intelligent, un partage, une véritable redistribution, relancer le pouvoir d’achat des citoyens, laisser les sans emplois s’activer dans des occupations marchandes contrôlées ou autres, sans, sans cesse les suspecter de faire perdre de l’argent à l’Etat…Je désire que nos futurs représentants à l’Assemblée, votent des lois pour favoriser une ouverture au progrès pour tous. Tous ces souhaits devaient être en première ligne de nos préoccupations et des leurs. Il n’est pas trop tard ! Nous ne sommes pas obliger pour nous entendre et nous rassembler d’avoir les mêmes opinions et les mêmes statuts. Cordialement;

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    1. laurentwz

      Bonjour Tony,
      Je vous propose d’en faire un article (vous serez auteur) avec un titre comme: Annonce: Laurent Eloi, « Nos mythologies économiques »
      Vous pouvez déjà le faire car vous êtes auteur sur ce blog et que tout le monde y est le bienvenu pour écrire des articles, mais je peux aussi le faire,
      A bientôt,
      Laurent

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      1. Bonjour Laurent, toutes mes excuses , je réponds avec un mois de retard. Je suis parfois anarchique dans mon emploi du temps à cause de mes déplacements et aussi mon travail personnel… Si vous trouvez qu’un texte de ma part écrit sur wordpress ou en réponse à un de vos articles, est intéressant, bien sûr je vous autorise à en faire un article. J’ai été très honoré lorsque vous avez publié sur votre blog : »Entreprises criminelles. » je vous remercie et si vous voulez me contacter mon email est sur Facebook ou wordpress. A bientôt, cordialement.

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  3. laurentwz

    Bonjour Tony,
    Ok, cela marche, je vous envoie un email. Et c’est une grande satisfaction d’avoir votre plume, lucidité et expérience pour contribuer …
    C’est dans l’esprit de ce blog que tout à chacun puisse y proposer des projets, idées, ou réflexions …
    Si ce monde ne s’était pas autant compliqué la vie, ce blog serait moins consacré à décrypter cette complication, et on réaliserait sûrement mieux que les vrais enjeux sont sur les choses simples. Et j’aimerais alors même que les enfants y écrivent tellement il peut y avoir de vrai chez eux !
    A bientôt,
    Laurent

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