Qu’est-ce qui se cache derrière cette inépuisable capacité des enfants à jouer et à y prendre plaisir ? Qu’est-ce qui les motive à ce point si ce n’est un enthousiasme simplement incroyable pour nous adultes ?
La vérité, c’est que lorsque nous sommes fatigués et que nous nous arrêtons de travailler, nos enfants sont encore à l’oeuvre et ont encore envie de jouer.
Et ils viennent nous voir en nous montrant leurs créations. Les dessins et puis, plus grands, leurs créations avec des légos. « C’est trop bien », « Papa, viens voir », « Regarde », et soyons honnêtes, nous ne partageons pas le même enthousiasme pour leurs créations, et pouvons simplement penser que la plupart du temps, ce sont des moments que nous avons déjà vécus et pour lesquels nous n’accordons parfois qu’un peu de bienveillance. Tandis que nous courons après le temps le reste de la journée.
« Ce n’est pas de notre génération »
Lorsqu’ils se mettent à jouer à des jeux de tables ou à des jeux logiciels, il faut bien reconnaître qu’ils en saisissent rapidement les tenants et aboutissants. Et cela, bien mieux que nous.
C’est alors que nous entrons dans cette incroyable méprise du « ce n’est pas de ma génération ».
La réalité, c’est que nous n’avons plus du tout la même capacité d’apprentissage et qu’en jouant, l’enfant surpasse nos facultés d’adaptation par une motivation et une dynamique encore dénuées de l’arbitraire.
Et s’adapter, qu’est-ce si ce n’est la capacité à accepter et permettre le changement ?
Et nous avons pourtant la prétention d’imposer notre manière la plus efficace d’apprendre aux enseignants et donc, a fortiori, aux enfants.
Par apprendre, il faut en réalité entendre « travailler ». Car la chose ne peut être que sérieuse, demande un protocole à respecter, et ce n’est certainement pas « jouer ». Car c’est aussi instiller la nécessité de se soumettre et d’instaurer la culpabilité face à cet enjeu de l’acte de travailler ET sans se poser de questions.
Et l’affaire est entendue. La porte se referme petit à petit sur cette immense potentiel d’enthousiasme et de création.
Pour autant, il est vrai qu’il ne fallait pas avoir à réfléchir lorsque les enjeux de nos sociétés relevaient de l’application du taylorisme pour construire notre modernité.
La passion chez les grands
Récemment, je visitais une exposition de modélisme, et en faisant le tour je m’arrêta quelques instants sur des maquettes de bateaux militaires. J’allais continuer mon chemin lorsque j’aperçu le sourire de l’exposant donnant des explications.
J’y voyais le regard lumineux d’un enfant de près de 50 ans.
Je m’approchais, et, de question en question, une quasi stupeur m’envahissait tandis que je prenais conscience de l’extrême difficulté de la conception de cette maquette. Bateau d’exploration, avec l’objectif de pouvoir le placer dans un bassin pour visualiser la descente au treuil d’une nacelle accrochée, respect des calculs de la poussée d’Archimède, utilisation de tungstène qui est un matériau hors de portée du premier venu, fonctionnement de moteurs avec une sécurité logicielle contre la butée, utilisation à venir d’une carte pour programmer des scénarios faisant fonctionner les différents éléments, simulation logicielle des composants pour les assembler, calibrage lors de la mise au point, mécanique de précision pour une maquette au 1/100ème, et déjà ou seulement, deux ans de travail. Restant interloqué, je demandais à cet homme quel était son domaine.
« L’aviation ».
Avec cette lumière et le sourire des passionnés, et certainement aussi beaucoup d’humilité. Même après quelques instants fixes, je n’avais plus d’autres questions.
Ce passionné de maquettes était, comme je l’appris quelques minutes après, un concepteur de l’avion Rafale.
Enfant, tu deviendras grand
Ce sont aussi ces regards que l’on croise chez les enfants, pour ceux qui ont la chance de s’en occuper ou ont eu l’occasion de faire une présentation à une classe, à l’Ecole. Ce ne sont pas des clichés de voir leurs mains se lever, de voir les mots s’étrangler dans leur bouche tellement leur émotion est grande à vouloir exprimer leur opinion, ou de les entendre donner des idées dont on ne peut s’empêcher d’en rire avec affection.
Et il ne faut pas alors manquer l’occasion de repenser une seconde fois à ce qui semble impensable pour voir les choses d’une autre manière.
Ces enfants ont cette capacité à apprendre en jouant, car jouer, c’est d’abord travailler en pensant par soi-même. Et nul ne peut exclure leurs réalisations de la notion de travail.
Ils ont donc cette facilité à aller vers les idées nouvelles. Au jeu où l’enfant pense par lui-même, il ne lui est pas encore opposé un travail où il a à réaliser ce que d’autres ont choisi pour lui. Et tout en sachant que ces dernières personnes ne font elles-mêmes que ce que l’on leur demande, et ainsi de suite, ce qui laisse une part infime de créativité à tout à chacun.
C’est donc à nous de réaliser l’incroyable potentiel que nous avons abandonné, d’aller vers ce changement de notre propre vie avant de le demander à nos enfants comme à nos politiques. Toutes les raisons sont pourtant bonnes de refuser le risque le plus petit, de résister par l’analyse à ce qui lui échappe, ces nouvelles idées qui nous permettraient de construire l’avenir.
Oui, les enfants peuvent devenir grands, et sûrement moins petits que nos vies d’adultes.
Comment jouer de nouveau ?
Donner l’exemple des cercles vertueux aux adultes et oeuvrer à fournir aux enfants les moyens d’entreprendre. Cela peut venir lorsque l’on verra des enfants de 16 ans faire mieux que les industriels. Et c’est possible d’ores et déjà en domotique avec l’essor permis par des systèmes embarqués programmables ou en tirant parti du potentiel des machines 3D.
Il s’agirait aussi de savoir distinguer les jugements issus de la simple analyse de ceux qui passent par notre imagination et notre intuition, et s’apercevoir que nos raisonnements s’appuient bien souvent sur des résultats qu’on aurait bien du mal à attribuer à la seule logique. Plutôt que d’utiliser implicitement et sur le fond les idées trouvées hier pour se donner des raisons de ne rien faire aujourd’hui, on en viendrait alors à donner une place explicite aux idées de demain, soit une autre forme de voir les choses.
Ce serait ainsi « la voix des petits enfants, des tout petits enfants » échoués ou non sur une plage d’exil, qu’il faudrait opposer aux ennemis les plus acharnés d’ici ou d’ailleurs, comme un rempart pour réduire ces derniers au silence, et construire notre véritable grandeur.